Au lendemain de la guerre, on compte en Europe près de sept millions d'invalides, dont près de 300 000 aveugles, mutilés d'un ou plusieurs membres, blessés de la face ou du crâne.

La nature des armes de guerre utilisées est à l'origine de ces blessures particulièrement graves.

Les progrès de l'asepsie et les débuts de la chirurgie réparatrice permettent de maintenir en vie ces blessés pour qui les années à venir seront un nouveau cauchemar.

Ces hommes atrocement mutilés, traumatisés par leurs blessures comme par ce qu'ils ont vécu, ont honte de se montrer, et leur réinsertion dans la société civile est particulièrement difficile. Rien n'est prévu pour eux. Une blessure au visage n'est alors pas considérée comme une infirmité et n'entraîne donc aucun droit à une pension d'invalidité. 
Le préjudice de défiguration n'est reconnu qu'en 1925.

L'Union des Blessés de la Face et de la Tête, "Les Gueules Cassées", créée en 1921 par trois grands blessés de la face, est reconnue association d'utilité publique en 1927.


La blessure au visage

 

Lorsqu'on aura posé les armes

Et que, joyeux levant le front

Et tarissant toutes les larmes

Reviendront : ceux qui reviendront ! 

 

Les femmes d'un élan farouche

Prendront les hommes sur leur cœur

Et baiseront à pleine bouche

Celui qui reviendra vainqueur

 

Puis s'apaisera la joie de vivre

Et l'ordre ayant donné ses lois

Il faudra se reprendre à vivre

Ainsi qu'on vivait autrefois

 

Or bien peu reviendront sans doute

Les mêmes qui étaient partis

Tel qui fut droit hélas se voûte ! 

Et tel autre a les cheveux gris

 

Le front de celui-ci se ride

Ainsi que le front d'un vieillard

Et celui-là, sa manche est vide

Et l'autre, il n'a plus de regard

 

Mais les femmes consolatrices

Après l'étreinte du retour

Ennobliront les cicatrices

A force de soins et d'amour

 

Toi qui te crois vieux jusqu'à l'âme

Ecoute dans la paix du soir

Le rire de ta jeune femme

Et ton cœur frémira d'espoir

 

Toi qui traînes une béquille

Pour guider ton pas incertain

Le bras de quelque belle fille

Te soutiendra sur ton chemin

 

Toi dont l'épaule mutilée

Te rend sauvage et maladroit

Attends d'une âme consolée

Celle qui sera ton bras droit

 

Mais toi dont le masque effroyable

Est défiguré par l'horreur

Semblable au monstre de la fable

Dont les petits enfants ont peur

 

Toi qui dans la tragique fête

Au premier rang des bataillons

A su, sans détourner la tête

Recevoir le coup en plein front

 

Toi qui n'en es pas mort, pauvre homme

Mais à toi même hélas survis ! 

Toi, qui n'as su donner en somme

Que ton visage à ton pays...

 

L'amour se détourne à ta vue

L'amitié ralentit le pas

Et le soir de ta venue

Ton chien ne te reconnut pas ! 

 

Si tu n'as plus ta pauvre mère

Ne rentre pas à la maison

Oh ! Pauvre enlaidi de la guerre

Fuis, au hasard, vers l'horizon ! 

 

Fuis ta demeure et ton village

On te plaint moins qu'hier déjà

On se détourne davantage

Et demain on t'évitera

 

Mais si ta mère est à sa porte

Entre sans crainte, elle t'attend ! 

Pourquoi trembles-tu ? Que t'importe ? 

Elle a reconnu son enfant ! 

 

Elle t'étreint et elle te regarde

Et clame : Quelle chance j'ai ! 
C'est bien lui, je l'ai, je le garde

C'est mon fils, il n'a pas changé ! 

 

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