Le Départ pour la Guerre

 

Texte du chanoine Eugène Badiou et A. Girard

 

Recherches Pierre CHAPUIS

Le foin était rentré ; la moisson s'approchait

On était tous aux champs car le travail était en retard

Quand, le samedi soir et le premier du mois d'août

On entendit sonner le clairon, les cloches

De Saugues, d'Yssingeaux, du Puy jusqu'à Craponne

C'était le "Garde à vous !" (bis)


Dans les ouvroirs les carreaux s'arrêtèrent

Levant le nez en l'air, les femmes écoutèrent

"Que diable y aura-t-il ? Il se passe quelque chose..."

Mais déjà, un peu partout, les gendarmes criaient

"Les Prussiens sont arrivés : prenez tous les armes

Car la France vous appelle !"


Guillaume veut régner partout sur terre

On pouvait bien nous vanter qu'il n'y aurait plus de guerre

"Les députés encore redemandent nos voix"

Disaient les paysans. Mais la journée déclinait

Des sucs et du ciel, la grande ombre tombait

Noire comme les bois.


Chacun rentra chez soi. Combien la nuit fut longue

Pas un oeil ne se ferma aux nichoirs de la grange

A peine le soleil éclairait-il le matin

Quel les gens partaient pour la première messe

En les voyant pleurer, on leur affirmait

Qu'il faudrait bien souffrir.


Le curé déclara : "Je vous donne une médaille

Qui vous protégera de la mitraille

Courage, mes enfants. Il faudra vaincre.

Prenez un peu de pain, de lard, une bouteille

Et partez en chantant, le chapeau sur l'oreille

Pour vous donner du courage.


En arrivant au Puy, montez à Notre-Dame

Pour lui recommander votre corps et votre âme.

Allumez un cierge au pied de son autel

Et puis, vous descendrez, chacun dans votre caserne

N'oubliez jamais que le Bon Dieu gouverne

Et ce qu'est un soldat."


De la mobilisation l'affiche est appliquée

A la porte du four, comme un drap de lessive

Deux drapeaux enlacés montrent leur coquelicot.

Ces choses-là font toujours peur au village

Mais autant est, pour les Français, qui ont repris courage

La mort, comme un fricot ! 


Déjà ragaillardis les pères de famille

Embrassent leurs enfants ; chaque garçon sa mie, 

Les femmes, en pleurant, garnissent le baluchon

Et, quand elles l'ont bien rempli, elles embrassent bien fort,

Leur homme pour qu'en sa route sanglante

Il pense à sa famille.


Et de tous les chemins, de Taulhac et de Brives

D'Espaly et de Saint-Just, de Loudes et de Saint-Paulien,

On voyait arriver, de partout, les soldats.

Le Puy fut bientôt plein, comme une fourmilière.

Ils s'allèrent coucher sur un lit de fougères

Attendant leur départ.


Le lendemain, tout neufs, habillés de garance

Partaient les régiments pour secourir la France.

Je vois encore s'ébranler la forêt des fusils

Et les souliers ferrés qui battaient la chaussée

Comme une roue en feu dans une descente

De partout, le fer luit.


Mais soudain résonna le tonnerre

Car le Bon Dieu avait décidé de battre ses gerbes

Les hommes finalement l'avaient exaspéré

Ils ne le craignaient guère plus qu'une idole vermoulue

Traitant la religion de vieille faribole

Ils s'en moquaient complètement !


Mais on sentait bien que le vent avait tourné

Et que c'était à son tour de mener la lessive

Méchant qui voulez de la terre faire un charnier

Vous pourrez tout tuer ! Mais dans chaque bataille

Notre Bon Dieu triera le froment de la paille

Pour remplir son grenier !


"Partez braves enfants, défendez bien la France

Sur votre drapeau l'oiseau de l'espérance

A fait son nid. Ecrasez l'ennemi ! 

Regardez une dernière fois la vierge de Corneille".

Puis le piston du train siffla sous sa bareille

Et brûla le chemin.