Les associations d'anciens combattants

La Première Guerre mondiale a profondément marqué les hommes, leur corps comme leur esprit, donnant naissance à un monde d'anciens combattants étendu, structuré et très actif.

Les premières associations naissent dès 1916 en réponse aux problèmes dramatiques liés à la mauvaise gestion par les autorités militaires des blessés inaptes à revenir au feu.

En effet, les blessés de guerre ne peuvent toujours justifier de leurs blessures face à l'administration, et les pensions accordées au début de la guerre ne permettent pas à nombre de grands invalides de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles.

Avec la fin de la guerre, plus de 6 millions d'hommes démobilisés reviennent, non sans mal, à la vie civile. Le climat social est tendu. Les associations de combattants se multiplient partout en France, expression d'une protestation de citoyens qui demandent justice.

L'ensemble du réseau associatif apparaît comme un mouvement de masse, qui influe sur la vie politique française de l'entre-deux-guerres. Ainsi, par exemple, Raymond LEFEBVRE et Henri BARBUSSE créent en 1917 L'Association Républicaine des Anciens Combattants. Henri BARBUSSE sera le premier président de cette association classée à gauche. Le 11 décembre 1918, c'est L'Union Nationale des Combattants, classée politiquement au centre-droit, qui est fondée par Georges CLEMENCEAU et le père Daniel BROTTIER, aumônier militaire.

Un très grand nombre d'associations voient ainsi le jour, selon des critères géographiques, médicaux, militaires, professionnels ou politiques.

La section des Anciens combattants de Saint-Julien-Chapteuil

Le 26 septembre 1919, un encart dans le journal La Haute-Loire annonce une réunion pour la formation de la société d'anciens combattants, qui s'étendra à toutes les communes du canton.


Le 2 octobre, le journal publie l'annonce de la création de la Section : 

A partir du 30 octobre 1919, la section des Anciens Combattants de Saint-Julien Chapteuil s'organise. Elle compte près de 600 membres actifs dans le canton.



Arrondissement du Puy

Saint-Julien Chapteuil : section des Anciens Combattants

Dimanche 2 novembre a eu lieu la manifestation organisée par la section des combattants en l’honneur des enfants de Saint-Julien, morts pour la France.

A 8 heures, les sociétés des mutilés et des combattants de groupaient place de la Mairie derrière leurs drapeaux. Le cortège ayant à sa tête le conseil municipal, se rendit à l’église où un service solennel fut célébré. Au cours de la cérémonie, lecture de la liste des soldats morts fut faite et suivie d’une allocution de circonstance.

Le cortège se rendit au cimetière après la cérémonie religieuse, où des couronnes furent déposées à l’emplacement réservé aux soldats tombés au Champ d’honneur.

Une foule nombreuse, recueillie, assistait à la manifestation et c’est devant près de deux mille personnes que M. Thonat, président de la section des anciens combattants, prononça le discours suivant :

« Mesdames, Messieurs,

Chers camarades,

L’automne descend, ravivant par ses brumes, ses froidures, nos souvenirs et nos mélancolies. Novembre aux mains pieuses nous achemine vers les froides cités où sont relégués nos morts ; et soustraits un moment aux soucis de la vie, à la trépidation de nos efforts et de nos désirs, nous venons nous pencher tête nue sur les tombes pour écouter la voix du passé : revivre un instant avec nos morts.

Ceux que nous pleurons et glorifions aujourd’hui : Les enfants de Saint-Julien, morts pour la France, nous sont particulièrement chers.

La liste de ces héroïques victimes du devoir est douloureusement longue. Nos populations laborieuses, saines, tenaces, robustes, qui ont la réputation de fournir à la Patrie une élite de soldats ont payé à la guerre un tribut particulièrement lourd.

La seule commune de Saint-Julien a vu disparaître 96 de ses membres ! Et quels membres ! Tous fauchés à la fleur de l’âge dans la plénitude de leur vigueur, de leur santé, à l’heure où ils faisaient œuvre utile dans leur famille et dans la société. Leur place vide au foyer laisse une France amoindrie une famille désorganisée, laisse un vieux père au cœur brisé, à l’idéal évanouie une mère inconsolable, une veuve éplorée des orphelins en pleurs et sans soutien, tous atterrés par le malheur irréparable qui les frappe.

Les noms de ces chères victimes sont présents à vos mémoires. Quelle est la famille qui ne compte pas un des siens dans la liste funèbre ! Peu d’entre elles ont eu la suprême consolation de recueillir pieusement les restes de leurs chers disparus, ou de venir pleurer sur leurs tombes mais leur souvenir à tous nous est également cher et c’est aussi bien à ceux dont on ne connaîtra jamais la tombe qu’à celui que des mains pieuses ont enseveli, que vont nos hommages, notre gratitude, notre souvenir ému. Nous conserverons leurs noms, leur mémoire à défaut de leurs cendres.

Les circonstances de leur mort nous rendent encore leur perte plus cruelle. Nous avons été témoins de l’enthousiasme avec lequel toute cette fière jeunesse s’est élancée au secours de la Patrie menacée. Bientôt la mort fauchait avec rage dans ses rangs, la guerre se prolongeait, la lutte devenant plus dure plus âpre. Au danger, à la douleur de la séparation, s’ajoutaient les souffrances physiques, les privations, l’incertitude sur le sort de la famille, sur la fin de la guerre.

Ces admirables soldats n’ont jamais fléchi, jamais désespéré. Ils sont restés où le devoir les appelait, sans fanfaronnade sans ostentation, mais avec une calme résignation, une admirable conscience du devoir nécessaire, l’acceptation sereine du sacrifice de leur vie s’il était nécessaire au salut de tous.

Ce sont de tels hommes, de tels caractères qui font la prospérité, la grandeur morale de la famille, la force et la vitalité d’un pays, aussi leur perte nous es-elle d’autant plus douloureuse et plus durement sentie ; ils ont connu toute l’horreur de la lutte sans avoir la joie suprême d’assister à la victoire et de voir se lever l’aurore d’une vie meilleure.

Cependant, s’il était possible d’apporter un soulagement au cœur des affligés, je leur crierais : soyez fiers de ceux dont vous portez le deuil. Bonne maman, vieux père, soyez fiers d’avoir élevé un tel fils ; jeune veuve qui gardez le souvenir, soyez fière d’avoir mérité l’affection d’un tel homme ; petits orphelins, conservez pieusement le souvenir d’un tel père, apprenez sa vie son sacrifice !

Tous les hommes de cœur s’inclineront devant votre douleur, vous avez acquis un titre impérissable à la reconnaissance publique une marque de noblesse d’âme dont plusieurs générations se glorifieront à juste raison.

Toute la population de Saint-Julien peut être fière d’avoir dompté de tels cœurs parmi ses membres. La France entière les honore et leur voue une reconnaissance infinie. Leur sacrifice en effet n’a pas été inutile : Glorieusement tombés en Belgique, en Artois, en Champagne, à Verdun, sur la terre étrangère, ils ont, de concert avec les mutilés ces autres victimes si sympathiques et leurs camarades plus heureux qui sont revenus indemnes, arrêté le flot de l’envahisseur et sauvé la France. Grâce à eux, nous avons eu la victoire pour la première fois depuis 50 ans un été français a fleuri l’Alsace et la Lorraine et nous pouvons enfin, dans cette paix si ardemment désirée, vaquer à nos occupations, élever notre famille en sécurité, regarder l’avenir en face sans anxiété.

Aussi notre reconnaissance à leur égard doit-elle être infinie, notre dette sacrée. Puisqu’il ne nous est pas donné de relire leurs noms sur leurs tombes de nous recueillir sur leurs restes posons au hasard nos genoux sur la terre leur sépulture commune et écoutons les parler !

La voix des morts pèse sur la nôtre. Leur vie même normale, faite de longue patience leurs pensées simples, l’accumulation de leurs efforts ont lentement tissé nos âmes ou n’échappe pas à leur empire !

Mais Eux les grands Morts qui n’ont pas leur tombe et pas même de nom. Eux, qu’aux éclairs de la mitraille la gloire a jetés pêle-mêle obscurs. Eux dont la vie fut une épopée et la mort une apothéose : quelle peut être leur éloquence ? Toute la jeunesse, la beauté, l’ardeur d’une race sont couchées sous cette terre sanglante. Jamais sève plus riche ne vint rajeunir nos appauvrissements, nous vivifier.

Parce qu’ils n’ont pas attendu que la sombre faucheuse glisse vers eux sournoise qu’ils se sont offerts à elle leur voix franchira les siècles.

Nous qui possédons ce sort enviable de les avoir connus, aimés, que nous avons fortifié nos cœurs aux battements de leurs nobles cœurs, recueillons-nous dans le silence de nos deuils glorieux ; vivons avec nos morts ! Evoquons ces chères ombres qui n’ont pas de peine pour nos agenouillements mais dont le mausolée est l’histoire.

A leurs voix se mêle la voix séculaire de ceux de France qui, à travers les âges sont tombés dans ces plaines dont les noms jalonnent notre histoire.

De la terre bouleversée par la mitraille où beaucoup d’entre eux reposent dans leurs vêtements sanglants du cimetière aux tombes fleuries, ils nous disent :

Français maintenant que vous êtes rendus à vos familles, que vous avez repris la charrue ou rejoint l’atelier, aimez-vous fraternellement les uns les autres, mettez en commun vos forces, vos pensées comme nous l’avons fait sur le front ; rivalisez seulement de labeur, de bonne volonté, de dévouement à la chose publique, à nos institutions. Vous le devez à nos morts.

Français après ces longues années de souffrances, de lutte, de meurtre la paix n’est pas le repos, la fin de toute lutte. Elle garde elle-même un visage farouche. L’ère de l’héroïsme est passée celle du labeur commence.

Pour vous acquitter de votre dette envers nous, il ne suffit pas d’avoir vaincu, il faut mériter la victoire.

Français, le but consiste à guérir vos blessures, à développer la puissance intérieure et l’influence de notre cher pays, à la mettre à l’abri d’une nouvelle agression afin que nos enfants ne revivent pas l’horrible tragédie que nous avons connue.

Resterons-nous sourds à leur voix ? Non, nous ne le pouvons pas ; travaillons avec ardeur, soyons amis comme nous l’étions sur le front ! Consacrons toute notre activité à la grandeur de notre chère Patrie et à la glorification de nos morts nous serons les continuateurs de leur œuvre.

 

Vive la France ! »

Source : Journal "La Haute-Loire" - AD43 cote 2 pb 8