L'engagement pacifique de Jules ROMAINS

Jules ROMAINS n'est pas allé au front, mais il n'a cessé d'agir et d'écrire contre la guerre.

Prélude à Verdun et Verdun, publiés en 1938, sont les volumes XV et XVI de la suite romanesque Les Hommes de Bonne Volonté.


Outre ses nombreux essais en faveur de la paix et son long poème Europe, qui met les foules en demeure de refuser la guerre, Jules ROMAINS a su raconter l'enfer de Verdun.

Il peint l'arrière, mais surtout les tranchées, et donne ainsi un véritable témoignage. Il s'est en effet longuement et précisément documenté sur la Première Guerre mondiale en général, et sur la bataille de Verdun en particulier, avant de se lancer dans la rédaction de ces deux volumes.

Et c'est parce qu'il s'est documenté, et qu'il était doué de cette empathie qui fait les vrais poètes et les grands romanciers, qu'il a su raconter l'épopée misérable de Verdun, faire vivre avec intensité la vie des soldats ordinaires comme celle des généraux, et faire entendre, plus puissants qu'une rhétorique, le vacarme du canon et les hurlements des soldats.

Dans Prélude à Verdun, Jules ROMAINS évoque la mobilisation générale, et donne un aperçu des réflexions et illusions du côté allemand et du côté français au début de la guerre : 

 

Jamais tant d'hommes à la fois n'avaient dit adieu à leur famille et à leur maison pour commencer une guerre les uns contre les autres. Jamais non plus des soldats n'étaient partis pour les champs de bataille mieux persuadés que l'affaire les concernait personnellement.

 

Tous ne jubilaient pas. Tous ne fleurissaient pas les wagons, ou ne les couvraient pas d'inscriptions gaillardes. Beaucoup ne regardaient pas sans arrière-pensée les paysans qui, venus le long des voies, répondaient mal au cris de bravade et saluaient un peu trop gravement ces trains remplis d'hommes jeunes. Mais ils avaient en général bonne conscience. Puisqu'il n'était plus question d'hésiter ni de choisir, l'on remerciait presque le sort de vous avoir forcé la main. Peut-être allait-on bientôt s'apercevoir qu'avec ses rudes façons, il vous avait rendu service, comme le maître-nageur au débutant qu'il pousse à l'eau.

L'affaire, on n'en doutait pas, était de taille à remuer le monde entier. Et déjà elle en soulevait un large morceau. Mais par un effet de la tradition, et comme par droit de priorité, avant de devenir mondiale, elle était d'abord franco-allemande.

 

Chacun des deux peuples s'était élancé à la rencontre de l'autre, en tâchant de bien maintenir dans sa tête une idée de la guerre aussi excitante que possible. Les Allemands s'efforçaient de croire qu'ils reprenaient une vieille épopée ; qu'ils avaient derrière eux des chevaliers et des empereurs du Moyen-Âge tendant leur épée toute droite et leur montrant le chemin. Derrière les chevaliers du Saint-Empire, il y avait même les guerriers d'Hermann, et tant d'autre encore que les légions du Sud étaient venues massacrer dans les forêts, et dont il n'était pas trop tard pour venger la juste cause. Le but prochain, c'était d'augmenter l'honneur de la patrie germanique, et la crainte qu'on avait d'elle. C'était de décourager définitivement les entreprises des envieux, à qui sa récente prospérité portait ombrage, et qui, d'un bout à l'autre de l'Europe, se conjuraient pour l'encercler et l'abattre.

 

Les Français préféraient s'imaginer que, ce qu'ils avaient derrière eux, c'était l'humanité ; qu'une fois de plus, voyant qu'elle ne pouvait sauver son destin qu'au prix d'une contestation sanglante, elle avait décidé de les choisir, eux, pour champions. Il leur fallait, bien entendu, sauver aussi le sol natal, et même profiter de la circonstance pour reprendre deux provinces naguère perdues. Mais le plus important étaie de prouver au monde qu'on restait les soldats de la Révolution, le peuple qui depuis les Croisades n'avait jamais fait la guerre sans y mettre quelque intention de bienveillance universelle, et qui avait constamment voulu que ses voisins eussent leur part, au besoin malgré eux, des formes de vie excellentes dont lui-même avait eu l'initiative.