Devant l'afflux massif de blessés dès les premières semaines du conflit, et après une période de flottement, le service de santé des Armées se réorganise et met en place une chaîne sanitaire, depuis les premiers secours sur le front, jusqu'à la rééducation, puis la réinsertion, en passant par l'évacuation et les soins.

Le triage médico-chirurgical s'impose, en fonction du degré d'urgence, du traitement médical et de celle de l'évacuation. Dès 1915, les grands blessés sont évacués à l'arrière et orientés vers des hôpitaux spécialisés.

Les blessés de la face : les gueules cassées

La guerre de tranchées a engendré des mutilations jusqu'alors peu courantes, comme celles de la face. On estime que 11 à 14 % des blessés français l'ont été au visage.

De nombreux blessés sont laissés sur le champ de bataille, tant leurs blessures sont hideuses et paraissent sans aucun espoir. Les soldats défigurés sont souvent évacués les derniers.

Face à ces traumatismes, les médecins remarquent que ces effroyables blessures ne compromettent pas les fonctions vitales : les défigurés survivent à leurs lésions.

Des centres de chirurgie maxillo-faciale voient le jour. La médecine doit répondre à une nécessité majeure : rendre à tous ces hommes aux visages ravagés une figure humaine. Ce n'est que très lentement, et par essais-erreurs que la chirurgie réparatrice va progresser, obligeant le blessé à de longs traitements et à de fréquentes opérations.

La complexité de ces blessures conduit les chirurgiens à inventer des procédés tels que l'immobilisation des maxillaires, et à développer des techniques pour remplacer l'os grâce à des greffes. Les pratiques utilisées sont très douloureuses.

La chirurgie esthétique est une spécialité médicale née de cette guerre.

Lorsque la chirurgie n'est pas suffisante, on propose l'utilisation de prothèses. Des masques occultant la zone mutilée peuvent être réalisés en plâtre, galvanisés de cuivre, puis recouverts d'une peinture émaillée pour simuler la carnation du soldat. La durée de ces masques est généralement de quelques années.

A la dégradation physique de ces blessés de la face s'ajoute une détresse morale. Comment  vivre avec des traits hideux, une identité perdue ? 

En plus de la difficile épreuve du retour en famille d'un fils, d'un frère, d'un père, d'un mari méconnaissable, en plus de sa douloureuse nécessité de s'accepter et de se reconstruire, le défiguré doit affronter le regard de la société. Les blessés de la face affichent en effet implacablement les séquelles du traumatisme, tant psychologique que physique. Certains peuvent ressentir de la fierté, ils se sont battus et ont payé un lourd tribut. Mais ce sentiment est vite gâché par le regard des autres. Ces jeunes visages meurtris deviennent des objets de curiosité, des créatures dont on  a peur. Ils choquent bien souvent la population, rappelant une période que l'on préférerait oublier.

Dans de nombreux cas, les blessés de la face se sont péniblement réintégrés à la vie civile. Beaucoup ont alors préféré rejoindre les centres pour mutilés. Dans ces endroits protecteurs, ils ont pu vivre à l'abri des regards, partageant le quotidien d'autres gueules cassées.

Les soins portés aux soldats gazés

Les soldats qui survivent à une attaque de gaz en conservent très souvent des séquelles et ont besoin de soins.

Ils ont les muqueuses respiratoires fragilisées et souffrent de complications : pneumonies, bronchites, tuberculose. Certains décèdent des semaines, voire des mois après une attaque au gaz, tandis que d'autres survivent avec des séquelles plus ou moins importantes. D'autres enfin vivront âgés, mais leurs séquelles s'aggraveront tout au long de leur vie.

Les seuls soins aidant les soldats gazés à mieux respirer sont l'atropine - un médicament qui dilate les voies respiratoires -, l'oxygénothérapie et la kinésithérapie, autre spécialité née de cette guerre.

Mais les soins proposés ne sont que des traitements de survie. Les gazés ne guérissent jamais totalement...

Les blessures à l'abdomen

Les projectiles se montrent particulièrement destructeurs et meurtriers, déchirant les corps. 

Les médecins du front sont les premiers témoins de cette violence. Au début du conflit, ils appliquent le principe dicté à l'entrée en guerre : l'abstention opératoire systématique des blessés à l'abdomen. Un soldat touché gravement au ventre est donc condamné.

Puis, malgré la mortalité élevée de ce genre de lésion - 90 % -, les chirurgiens ne s'avouent pas vaincus. Cependant, c'est seulement dans la moitié de l'année 1915 que les blessés à l'abdomen sont pris en charge par l'ensemble des chirurgiens.

Au fil du conflit, les médecins constatent que la rapidité d'intervention est un facteur vital. Des ambulances automobiles sont donc dépêchées selon les besoins, à l'endroit où affluent les blessés.

Les blessures aux membres

Au début du conflit, les médecins vont essayer de conserver les membres touchés. Mais devant la violence des blessures, il devient évident pour les chirurgiens que l'amputation est très souvent la seule solution.

A la question de la douleur, le monde médical, dans l'incapacité de soulager les amputés, réagit par une non-réponse. Celle-ci concerne la quasi totalité des estropiés.

Dans un premier temps, les mutilés souffrent d'hallucinose : ils sont convaincus de la présence de leur membre amputé. On constate que près de 95 % des amputés ont " vu " leur membre fantôme apparaître au cours de la première année suivant l'amputation...
Il y faut aussi prendre en considération les douleurs du moignon dont est victime la moitié des amputés. Nombre d'entre eux deviennent morphinomanes. Cette dépendance est jugée à l'époque comme incurable.

Beaucoup de mutilés, désespérés, préféreront le suicide aux difficultés de retour à la vie qui les attend.

Lutter contre la gangrène

Un des premiers défis à relever pour les médecins est de lutter contre les nécroses dues à la gangrène gazeuse.

Ils doivent agir rapidement pour éviter que la gangrène ne s'installe dans les cellules infectées, touchent les tissus voisins, et plus grave encore, la totalité d'un membre. C'est une course contre la montre. Si l'infection se diffuse, la mort par septicémie est inéluctable.

Pendant la Grande Guerre, la seule solution est l'amputation. Même si celle-ci n'est pas synonyme de guérison, elle va sauver quelques soldats.

L'invention du Dakin, solution antiseptique, va sauver des vies et empêcher des amputations. Cette découverte constitue une des avancées médicales majeures de la guerre.

Les maladies et blessures volontaires

De toutes les blessures volontaires, celles de la main gauche sont les plus fréquentes.

Il est cependant difficile d'évaluer le nombre de mutilations et de maladies volontaires. Le rôle attribué aux médecins est délicat, la moindre erreur de jugement peut avoir de graves suites.

S'ils dénoncent les faux malades ou les soldats qui se sont blessés volontairement, ce n'est pas sans conséquences : entre août 1914 et octobre 1916, sur 290 exécutions, 35 relèvent de " désertion devant l'ennemi " sous la forme d'une mutilation volontaire.

Cela engendre de sérieux problèmes éthiques et soulève des débats houleux.

Progressivement, le monde médical va se rendre compte que les souffrances infligées sont des actes désespérés de personnes qui ne supportent plus l'expérience traumatisante de la guerre.

Dès lors, les médecins sont tenus de considérer les maladies et blessures volontaires comme des cas médicaux à part entière.

Les soins psychiatriques : la névrose de la guerre et sa prise en charge sur le front

C'est une névrose qui peut apparaître sous forme d'angoisse et d'agitation. Les patient souffrent de troubles de la parole, de surdité, de troubles de la marche... Malgré l'absence de toute blessure physique, certains sont incapables de se tenir debout ou de marcher.

Le monde médical finit par être conscient que les soldats peuvent être victimes d'une pathologie psychiatrique.

Les psychiatres remarquent que si le patient est pris en charge rapidement et traité à proximité du front, ses chances de guérison et de retourner au combat sont grandes. En appliquant cette méthode, les Anglais réussissent à renvoyer 66 % des soldats traumatisés psychiques à leurs unités.

La psychiatrie de guerre prend donc de l'ampleur durant le conflit, mais elle ne réussit pas à empêcher l'exécution de nombreux soldats déserteurs, alors qu'il est évident qu'ils souffrent de névrose de guerre.

L'obusite

L'obusite - en anglais shell shock, choc de l'obus - est un stress post-traumatique. C'est l'association de troubles psychiques et physiques observés chez certains soldats de  la Première Guerre mondiale, essentiellement dans le contexte de la guerre de tranchées.

Les maladies nerveuses étant alors encore peu connues, il est donc question de commotion, de choc émotionnel, de syndrome des éboulés, de victimes de l'obusite. On parle également de traumatophobie ou névrose de guerre.

Des cauchemars persistent longtemps après un événement, faisant constamment revivre une expérience particulièrement traumatisante.

Le terme obusite n'est plus utilisé de nos jours, et fait donc automatiquement référence aux soldats de la Grande Guerre.

L'obusite résulte de plusieurs facteurs impliquant le stress et l'anxiété, ce qui inclut : excès de stress et de peur dus aux bombardements incessants, peur d'être déchiqueté, peur d'être enseveli, peur répétée d'être violemment tué... L'instinct de conservation se rebelle contre la guerre. En outre, l'onde de choc d'une bombe peut générer un traumatisme crânien, sans blessure physique apparente, et endommager le tissu cérébral, avec pour conséquence un abaissement du seuil de tolérance au stress.

Les symptômes, divers et inconnus des médecins militaires des périodes antérieures, apparaissent chez des soldats des tranchées, choqués par l'onde de choc d'une explosion, voire ensevelis sous les retombées de l'explosion, et qui, après avoir été dégagés, sont retrouvés dans une attitude et une position mutiques, parfois sourds, muets, aveugles, pliés en deux, en position accroupie avec incapacité de se relever, voire totalement paralysés, hémiplégiques, paraplégiques... alors même que l'examen clinique ne montre aucune lésion capable d'expliquer ces attitudes.

C'est une affection psychosomatique pouvant se caractériser par des tremblements incontrôlés, plus ou moins intenses, avec des malades parfois atteints de vomissements incontrôlables, de chorée rythmique (se tordant dans tous les sens), ou de violentes contractures leur tordant les mains, les pieds, voire encore de syndromes de folie inconnus, nommés psychose des barbelés.

 

La commotion peut s'accompagner d'un regard vide, émotionnellement détaché, d'un rictus...


De nombreux médecins jugent que les malades mentent. Des noms paradoxaux de nouveaux syndromes sont inventés : simulation inconsciente, simulation de création ou simulation de fixation. Les malades sont même anesthésiés au chloroforme, non pour les soulager, mais pour dépister les simulateurs, sous la menace du conseil de guerre pour ceux qui refuseraient. Certains malades perdent leur rigidité et contracture provisoirement pendant cette anesthésie. Parfois, la menace de l'anesthésie ou du conseil de guerre fait disparaître la contracture, ce qui conforte le point de vue de la Société de neurologie qui, depuis le 21 octobre 1915, recommande que les sujets atteints de troubles fonctionnels ne soient ni réformés, ni pensionnés, ni évacués, mais traités sur place et renvoyés au front, tout en émettant le voeu que les simulateurs, exagérateurs, et persévérateurs soient envoyés vers des services spéciaux et soumis à une direction médicale compétente et à une discipline militaire sévère.

Les médecins militaires ont donc pour mission de renvoyer le plus possible de ces soldats au front, et de détecter ceux qui pourraient simuler pour éviter les combats.

De nouveaux traitements et inventions, consistant par exemple à emprisonner les personnes recourbées dans des carcans redresseurs ou à soumettre les malades à un torpillage électrique sont mis au point.

Ce traitement est appliqué par le Service de santé des armées françaises au Fort de Salins, dans le Jura, avec un centre d'entraînement pouvant accueillir jusqu'à 200 malades environ. Aucun effet positif n'a été démontré à moyen terme, les soldats ayant momentanément surmonté leurs symptômes voient leurs contractures revenir.

Plusieurs des malades de ce centre ayant refusé ce traitement sont d'abord mis en isolement plusieurs jours, avant d'être qualifiés d'hystériques invétérés, puis dénoncés par le docteur Gustave ROUSSY, pour être finalement jugés en conseil de guerre.


Au lendemain de la guerre, les gueules cassées, les mutilés dans leur fauteuil roulant, les amputés en béquille ou à la manche vide glissée dans une poche, rappellent chaque jour les sacrifices subis.